Le parcours de Nien Tzu Weng est singulier et fascinant. Sa pratique a cumulé beaucoup d’expériences au fil des ans, de la danse traditionnelle chinoise au cirque expérimental, en passant par les jeux technologiques et bien d'autres explorations, jusqu'aux approches expérimentales actuelles de la performance et de la conception d'éclairages. Nien Tzu est une une performeuse charismatique et une créatrice débordante d'imagination.
Dans 《{光 (陰 | 影)}之∞》(Guāng Yīn) : The Lightest Dark is Darker Than the Darkest Light, Nien Tzu déconstruit les racines culturelles de sa pratique, expérimentant avec une « identité corporelle » liée aux concepts anciens issus du taoïsme. Par le biais des aspects yin et yang du corps, elle navigue un état fluide, paradoxal, aux confins des mondes intérieurs et extérieurs, faisant le pont entre les espaces physiques et virtuels. Le résultat est une performance immersive où se rencontrent la danse, les gestes, les scènes évocatrices de la mémoire, les robots lumineux et les personas — entrelacé·es au sein d’un riche paysage onirique. Nien Tzu Weng s'affirme dans la notion de plaisir et de jeu performatif et son travail est un motif de vie et de réflexion corporelle.
“光” [guāng] signifie "lumière" et "陰" [yīn] signifie "négatif" ou "ombre". Ensemble, ils forment "光陰" [guāngyīn], "le temps".
Après avoir passé 15 ans au Canada, Nien Tzu Weng remonte le cours du temps. Ce parcours est crucial; elle doit faire l’expérience de ce qu’elle a manqué dans le passé pour comprendre les raisons l’ayant poussée à quitter en premier lieu. Au final, de la fuite émerge une nouvelle trame narrative.
Danse-Cité collabore avec le MAI (Montréal, arts interculturels) pour soutenir une artiste qui repousse les limites de multiples disciplines artistiques. Nos ressources partagées contribueront à donner vie à ce projet.
Nien Tzu Weng : Direction artistique, scénographie, chorégraphie
Marie-Audrey Jacques : Conseils en matériaux, scénographie, conception des costumes
Vjosana Shkurti : Vidéaste
Isaac Chanoki Endo : Cordiste, assistance scénographique, numérisation 3D, gréage
Dae Courtney : Conception sonore
Baco Lepage-Acosta : Mapping vidéo
Justin de Luna : Coach de mouvement
Myriam Bleau : Spécialiste des lasers
Timothy Thomasson, Milo Reinhardt, Ahmed Drebika : Artistes en réalité mixte / animation 3D
Paul Chambers : Consultant en conception d’éclairages
Naoto Hieda : Support à la performance virtuelle, accompagnement numérique
Winnie Ho : Regard extérieur
Justin Houde : Direction technique
Emile Pineault : Soutien à la production
Présenté par Danse-Cité et MAI (Montréal, arts interculturels)
Co-produit par Nien Tzu Weng, Danse-Cité et MAI (Montréal, arts interculturels)
Programmé par Ellen Furey and Sophie Corriveau
Partenaires
Avec le soutien financier de : Conseil des arts du Canada, Conseil des arts et des lettres du Québec, Festival Accès Asie
Résidences de création : Anti-Space, MAI (Montréal, arts interculturels)
Nien Tzu Weng est artiste de danse interdisciplinaire et éclairagiste taïwanaise canadienne établie à Montréal. Elle construit des ponts entre les disciplines avec une approche expérimentale à la performance contemporaine, et une approche de laboratoire à la conception d’éclairage. Comme chorégraphe et éclairagiste, elle se concentre sur la présence et l’interactivité. Elle est curieuse des relations entre les pratiques de mouvement et de nouveaux médias. Elle joue sur l’équilibre entre réalité et fantaisie, travaillant avec la lumière et les matériaux multimédias pour agir sur les perspectives. Pour Nien Tzu, la performance est un processus de transmission de dialogues entre espaces internes et externes, où la présence et l’image construisent multiples conceptions du temps qui se chevauchent.
Nien Tzu obtient son bac en danse contemporaine de l’Université Concordia en 2018. Elle reçoit de nombreux prix et bourses, dont la bourse danceWEB en 2023 (AUT), le prix Mécènes investi·es pour les arts et une résidence en nouvelles pratiques artistiques CAM/La Chapelle en 2019, le prix OFFTA Hybridité, une bourse de recherche et de premier cycle et un prix en danse contemporaine en 2018, et le prix James Saya en 2015.
Ses projets ont été présentés à l’étranger, à Flipchart (La Haye, NL), Node Digital Festival (Frankfurt, DE), Biennale Némo (Paris, FR) et Ars Electronica (Linz, AT), ainsi qu’au Canada, à IN/ON/OUT INTERARTS (Winnipeg, MB), SummerWorks (Toronto, ON), 1-ACT Fest (Vancouver, C.-B.) et à Montréal à OFFTA, Elektra, Akousma, Tangente Danse, La Chapelle, et Montréal, arts interculturels.
Ce projet explore tes racines taïwanaises. Comment cela se reflète-t-il dans le spectacle ?
Nien Tzu : [guāng yīn]... est un monde prototypé dans un état de flux - un miroir fracturé à travers lequel je navigue dans mes racines taïwanaises, non pas comme une identité fixe, mais comme quelque chose de mouvant, qui se transforme et qui est en expansion. La synthèse de mon expérience diasporique existe dans plusieurs dimensions à la fois, tout comme le temps dans ce travail : circulaire, fragmenté, non linéaire. Il ne s'agit pas seulement de réfléchir à mon héritage, mais plutôt de lui donner de nouvelles formes, de combler le fossé entre les générations, la réalité personnelle et la fantaisie.
L'espace de représentation lui-même est un paysage de rêve construit, parsemé d'empreintes personnelles et culturelles. La galerie s'inspire des textures de mon enfance : l'étreinte douce et pelucheuse des animaux en peluche, les néons vacillants des marchés nocturnes taïwanais, les courbes complexes des jardins feng shui, où l'énergie doit circuler sans obstruction. Ces objets ne sont pas seulement des éléments de décor ; ce sont mes archives vivantes, imprégnées de mémoire et de sens, incarnant une croyance enracinée dans la pensée orientale : chaque chose, qu'elle soit animée ou inanimée, a une âme.
Dans le théâtre, le 榕樹 (ficus) est un témoin silencieux, un autel où s'attardent les fantômes du passé. Le ficus est connu à Taïwan comme une entité spirituelle, un lieu de rassemblement pour des forces invisibles. Ici, il devient un collaborateur - un écran pour les projections, une corde comme partenaire de mouvement, des rayons de lumière, formant les racines - un système qu'il faut tenir et auquel il faut finalement s'abandonner.
Le son et les images insufflent diverses vies à ces souvenirs, à partir d'enregistrements que j'ai réalisés à Taïwan au cours du tournage de mon documentaire. Les rituels des réunions de famille pour le Nouvel An chinois, l'énergie enthousiaste des manifestations civiles pour la démocratie à Taïwan lors du rassemblement présidentiel de 2024, la mélancolie poétique du mariage de ma cousine - tous ces moments vivent dans l'espace sonore et la cartographie de projection de l'œuvre. Ils sont étirés, superposés, déformés, créant un paysage sonore à la fois nostalgique et étrange, comme un passé qui ne s'apaise jamais complètement.
La construction d'une personnalité devient un vecteur de transformation. Je pratique le changement d'état et le cosplaying, inspiré par ma nièce et mon chat, et j'apprends encore. Je me glisse dans des personnages qui sont à la fois des extensions de moi-même et des fictions complètes. Dans ces moments, j'incarne des archétypes : l'avatar qui « glitch », l'écolière, l'alter, l'ancien, le chat. Les motifs des tissus inspirés des textiles traditionnels taïwanais et de l'esthétique des dessins animés des années 90 se fondent dans un langage visuel empreint de dualité - enraciné et déplacé, ancien et hyper-moderne.
Grâce à cette approche multicouche, [guāng yīn] devient un prisme et des cristaux, réfractant mon identité taïwanaise à travers de multiples temporalités et réalités, laissant place à de la fluidité, de la contradiction et de la réinvention.
Ton équipe réunit des artistes numériques et des spécialistes du vidéo mapping et de la réalité augmentée, créant une expérience entre réel et virtuel. Quelle est la place du corps et du tangible dans cette création ?
Nien Tzu : Mon corps existe dans de multiples états tout au long de [guāng yīn] - il est à la fois hyperréel et désincarné, organique et numérique, interprète et avatar.
Parfois, j'incarne une physicalité exagérée, inspirée des mangas, presque caricaturale, oscillant entre de virtuoses explosions d'énergie et des moments d'immobilité suspendue. Cette esthétique me vient de mon enfance baignée dans la culture des dessins animés et des jeux vidéo, mais elle reflète aussi ce que j'ai ressenti dans ma propre existence, oscillant entre visibilité et invisibilité extrêmes, entre des états performatifs et des états d'observation.
Ensuite, il y a des moments où mon corps se dissout sous forme de données. Des projections de réalité augmentée (RA) se superposent à mon corps sous forme de distorsions numériques, essayant de percevoir et de toucher des morceaux de mémoire de mon passé ou de mon futur, des versions glitchées de ma présence, des membres fragmentés, des ombres en écho. Dans certaines scènes, mes mouvements déclenchent des changements de paysages numériques, ouvrant des portails vers de nouvelles réalités. Le corps n'est jamais qu'une seule chose - il change constamment de dimension, résistant à l'enfermement.
En revisitant les techniques traditionnelles de danse de l'éventail chinois dans une pratique contemporaine du mouvement, j'explore le paradoxe de l'éventail lui-même - comme la rotation du yin et du yang du Tai Chi, un objet de dissimulation et de révélation, de contrôle et de relâchement. Le mouvement de l'éventail crée du vent, un élément invisible à l'impact tangible. Il devient une métaphore de la diaspora : cet invisible poussée et traction de l'héritage culturel, quelque chose d'à la fois délicat et puissant.
Le ficus taïwanais agit comme un point d'ancrage dans l'œuvre, un système de poulie et des rayons laser avec lesquels j'interagis physiquement, en grimpant, en m'enroulant, en naviguant et en me liant à lui. L'utilisation de l'art de la corde, une technique de mouvement Shibari, crée un état paradoxal - tension et abandon, constriction et expansion. Le fait de m'orienter à travers la lumière et l'espace renforce la question du corps qui oscille entre subjectivité et objectivité. En étant attaché, je trouve une nouvelle façon de lâcher prise et de guérir. L'arbre ( tout comme ses divers symboles et médiums dans cet univers) devient à la fois un support physique et un poids psychologique, reflétant ma propre lutte avec le fantasme du pays d'origine et de l'appartenance.
La dimension la plus intime et la plus éprouvante de cette œuvre est la télé-présence en vidéo de ma grand-mère qui regarde la performance en temps réel depuis Taïwan, tandis que sa présence est projetée dans l'espace de performance sous la forme d'avatar numérique. Il s'agit d'un profond reflet de ma réalité : ma relation à la famille est médiatisée par des écrans, alors que leurs visages sont pixellisés par la distance. D'une certaine manière, ils sont plus réels pour moi en tant qu'images scintillantes qu'en tant que corps physiques. Les états de corps paradoxaux me rappellent que la technologie a toujours été le pont qui me relie à mon foyer, que j'ai entretenu des relations, partagé des chagrins et des joies, et que je suis restée connectée par-delà les océans. Dans cette performance, le corps est à la fois ancré et fragmenté, comme je l'ai souvent ressenti dans ma propre expérience.
Danse, film, arts médiatiques, vidéo, l’immersion est maximale, l’expérience est multidimensionnelle. Que veux-tu que les publics vivent ?
Nien Tzu : Je veux que le public ait l'impression d'entrer dans un portail de vie où le temps se courbe, où la mémoire est fluide, où l'identité est une notion à géométrie variable.
[Guāng yīn] ne vise pas à atteindre une vérité singulière, mais à faire l'expérience de la multiplicité. Je veux que le public navigue entre différents états de présence, entre l'hyper-stimulation et la contemplation profonde. Dans la galerie, ils sont libres d'errer, d'interagir, de se laisser immerger dans un environnement chaotique et onirique où les objets, les sons et les mouvements brouillent les frontières entre réel et onirique. Dans le théâtre, ils sont assis, emportés dans un rituel de déroulement introspectif du temps.
Une narration non linéaire, mêlant séquences documentaires personnelles de Taïwan et performance en direct, invite le public à pénétrer dans un espace où le passé et le présent coexistent. Des moments tels que les rituels du Nouvel An chinois dans ma famille, le mariage de mon cousin, l'énergie du rassemblement présidentiel de 2024, sont imbriqués dans la performance, non pas comme des souvenirs statiques, mais comme des fragments bien vivants qui se répercutent dans le présent.
Les éléments de réalité augmentée perturbent encore davantage la perception de ce qui est réel. La machine à pince interactive - une nostalgique expérience d'arcade réimaginée par Unreal Engine - invite le public à jouer avec des objets numérisés de mon enfance. Des tissus taïwanais, des objets de famille, des artefacts personnels ont été scannés dans cette machine, transformés en données, sans pour autant perdre leur poids émotionnel. L'acte d'atteindre, de saisir, d'essayer de s'accrocher à quelque chose qui se dérobe toujours, voilà le fondement de Guang Yin.
[guāng yīn] est une méditation sur le déplacement et l'appartenance à un monde prototypé. Il s'adresse à ceux qui se sont déjà sentis coincés entre deux mondes - culturellement, psychologiquement, temporellement. C'est une invitation à embrasser les paradoxes et les échecs possibles, à vivre dans l'ambiguïté, à trouver la beauté dans l'acte de transformation continuelle.
En fin de compte, j'aimerais que le public quitte l'espace non pas avec des réponses, mais avec un sens accru des possibilités - l'identité corporelle comme quelque chose de fluide, le temps comme quelque chose d'élastique, et la présence comme quelque chose qui s'étend bien au-delà du physique - en pensant à un corps dans son ensemble, un doigt est physique, les autres sont virtuels, les yeux sont spirituels, et nos organes de perception sont totalement surréels.
Dates :
9 avril 2025 - 19h30
10 avril 2025 - 19h30
11 avril 2025 - 19h30, conversation après spectacle
12 avril 2025 - 19h30
Lieu :
MAI (Montréal, arts interculturels)
3680 rue Jeanne Mance
Montréal, QC, H2X 2K5
https://m-a-i.qc.ca/